QUAND SUIS-JE RELLEMENT DEVENUE MERE?

S’il est vrai qu’il y a un instinct presque animal, de possessivité qui fait qu’au moment même de la prise de conscience de la grossesse suivi de l’extraordinaire bouleversement de l’accouchement, un lien très fort s’est créé entre bébé et moi, un lien de protection. L’amour est arrivé rapidement et s’il n’est pas intervenu dès les premières secondes de la prise de conscience de la grossesse, j’ai en tout cas absorbé 9 longs mois d’une année pour me préparer à l’arrivée de ce petit enfant qui grandissait en moi afin d’être complètement prête à l’amour une fois sorti de mon ventre. Une émotion intense s’est alors dégagée. De pur amour, d’appartenance l’un à l’autre, de curiosité, de soulagement cérébral, et je pouvais désormais visualiser ce grand mystère intérieur. Toutefois, si d’autres ont le sentiment d’être complètement mère à l’accouchement, ça n’a pas été mon cas. Est-ce que je réussissais à voir ma propre mère et ses 30 ans d’expérience de maman en moi…non, clairement non. J’avais plutôt l’inexpérience du nouveau né, la timidité de l’incompétence. J’étais bel et bien une toute nouvelle maman qui devait s’instruire son propre rôle comme le nourrisson devait découvrir le monde et s’exercer à grandir. J’ai du tâtonner pour trouver mes marques et apprendre à me connaître en tant que maman puisque j’étais novice en la matière, plus que ça, il me fallait m’habituer à mon bébé, m’initier à lui, l’étudier tout en le dégrossissant et en l’assimiler rapidement. Tout ça m’a pris énormément de temps. Ca ne s’est pas fait en une semaine ni en un mois. Ma fille a 3 ans et je continue de me cultiver au quotidien car cet enfant est un être qui évolue. Mon expérience se fortifie, je me juge de plus en plus compétente et légitime dans mon rôle de mère, mes mouvements sont plus fluides avec mon enfant, je me comporte de manière plus naturelle vis-à-vis de la société qui m’entoure et si cela est de l’ordre de la nuance presque invisible aux yeux de tout un chacun, je le ressens, moi, et le confort que cela m’apporte est inestimable. Malgré tout, le temps passe et de nouvelles questions s’introduisent dans ma vie au fur et à mesure que l’enfant grandit. C’est un être en perpétuelle évolution qui m’interdit de rester sur mes acquis, de m’endormir sur mes lauriers.

Si Néanmoins cette expérience s’avère extrêmement profitable et constructive, qu’elle comble immensément ma vie, elle a été et est parfois encore douloureuse. Elle ne m’a pas jamais rendu malheureuse mais a été la source de souffrance psychologique, de conflit intérieur, de difficultés telles, que je suis en constante remise en question, et que ce qui se passe en moi est de l’ordre de l’insurrection, du baroud contre un ennemi, moi-même. Je vis dans l’adversité perpétuelle et ces hostilités me font mener campagne permanente pour trouver le calme, cette paix qui parvient quand j’ai enfin l’impression de faire juste.

J’insiste, dès le départ, il n’a été question que de joie.

Simplement la grande complexité de cette nouvelle fonction m’a percutée en un instant pour me bouleverser à jamais et m’a laissée en choc quelques temps, étourdie longtemps. L’impact a été tel que je pourrais essayer d’imager cela par le début d’un nouvel emploi dans lequel il nous faut un certain temps avant de réussir à prendre ses marques et s’adapter au fonctionnement de l’entreprise. Il faut un certain temps aussi avant l’immersion complète dans sa nouvelle fonction, et cette peur qui nous ronge car on souhaite faire ses preuves au plus vite pour démontrer à sa hiérarchie qu’elle ne s’est pas fourvoyée en nous faisant confiance. Il faut un certain temps par ailleurs pour se prouver à soi-même qu’on est compétent. Etre maman a été pour moi, comme un nouvel emploi. Et Cela a été le travail le plus difficile que j’ai eu à apprendre à connaître. Car il a été le plus long à appréhender. C’est un parcours à paliers et au fur et à mesure que mon enfant se développe, à chaque nouveau palier atteint, j’ai l’intuition d’être plus à l’aise avec ma parentalité. Je peux dire à présent que j’entreprends de me décontracter et qu’éclos en moi petit à petit une maman plus à l’aise. En constante non mutation mais évolution dynamique, je deviendrai probablement une maman encore plus agile graduellement, en exact parallélisme des étapes franchies de mon enfant pas que nous soyons connectés mais plutôt que nous évoluons main dans la main.

Cependant, la collision du départ a été tellement brutale, la secousse tant éprouvante, que je n’en reviens toujours pas de ne pas avoir été alertée au moment de mon projet de grossesse. Que je ne comprends pas qu’on ne m’ait pas informée quand j’étais enceinte non plus. Je suis éblouie pas  ce talent général à garder secret cette donnée conséquente, ce tuyau capital dans la décision de la conception de l’enfant. Ça n’aurait rien changé pour moi si j’avais suffisamment été préparée à ce qui m’attendait. J’aurais sauté immanquablement le pas puisque c’était un réel désir de concrétisation physique de l’amour de notre couple qui débordait et ressentait le besoin de crier cette affection dans le futur mais ça aurait peut-être changé les choses pour d’autres couples moins solides dans leur désir d’enfanter. J’ai donc été littéralement jetée dans le vide. J’ai compté 9 mois pour me préparer à la naissance de mon enfant et je n’ai jamais deviné, pas un instant ce que j’allais traverser. J’avais anticipé les sacrifices que cela demanderait. Je prévoyais de m’oublier en tant qu’individu. J’avais composé avec l’abandon de ma vie de célibataire libre. Je me figurais mettre de côté certains rêves. Bref, je savais que ça ne serait pas facile et cela, j’y étais prête. Pour autant, si on m’avait tout dit, de but en blanc, je ne serais possiblement jamais parvenue à mesurer ne l’ayant pas vécu moi-même ce secret découvert à la naissance de mon enfant. Mais quand même ! Cela m’aurait donné à réfléchir. Ce qui m’épate encore et encore c’est ce silence absolu. Ce tabou qui se montre si limpide à mes yeux aujourd’hui. Bon sang, pourquoi ne m’a-t-on rien dit ? Pourquoi ne m’a-t-on jamais évoqué ce lourd sentiment de responsabilité qui nous tombe comme une massue non pas sur les épaules mais en plein cœur et en pleine tête? Pourquoi avoir caché si longtemps, depuis la nuit des temps, à toutes les femmes, ce poids du monde, cette peur, qui nous réveille tout à coup et qui nous empêche d’être plus jamais paisible, plus jamais, à jamais? Elle est là la surprise. Ou peut-être vis-je dans un rêve, ne suis-je pas réaliste, n’ai-je pas su lire les signes ? Peut-être suis-je la seule à ne pas avoir su ? Soit ! Je ne sais pas mais je n’ai aucun souvenir d’avoir vu ça nulle part, d’avoir su ça de nulle part. M’a-t-on émis des réserves dues à certaines difficultés, oui supposément. En revanche, ni parents, amis, professionnels de la santé et de la maternité, magazines, livres, télé, cinéma, qui que ce soit, n’a évoqué le sujet avec moi, en me regardant droit dans les yeux, en expliquant lentement et clairement, la gravité de ce que je vivrais. Alors j’y tiens. Je tiens à parler du sérieux, du poids et de la grièveté de la parentalité pour que certaines puissent peut-être comprendre, intégrer consciemment ou pas ce qui leur arrivera à la venue de leur premier enfant.

Si mes enfants sont ma joie de tous les jours, ils ont aussi signé la fin de mon innocence. Je dois garder les yeux bien ouverts pour eux, pour les protéger, pour qu’ils grandissent bien et je n’ai pas tellement le droit à l’erreur ou ça pourrait leur coûter beaucoup trop.

Baby blues, dépression post-partum ? Hors sujet ! Tout ça c’est autre chose, c’est une prise de conscience qui survient à la mort d’une part de nous même pour laisser la place à l’avènement noble de l’adulte en nous.

 

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